Carte blanche | Le lobbyiste et la startup, plaidoyer pour une « union propice »

Envisageons les deux acteurs de notre théâtre. Nos protagonistes sont en effet l’un et l’autre spécifique et parfois mal connu et il faut passer par cette description pour comprendre pourquoi l’un et l’autre peuvent et même devraient, former cette « union propice ».
(Auteur : Isaure d’Archimbaud est une lobbyiste expérimentée qui a choisi de s’installer au Luxembourg afin d’accompagner les entreprises et particulièrement les start-ups dans le développement de leurs activités / Crédit photo : Fuse Brussels)
La start-up : idée, big data, risque

La start-up pourrait se définir comme une société utilisant un « modèle opérationnel, technologique ou économique innovant et disruptif dans tout domaine en relation avec le digital.

Derrière cette définition un peu austère, se rassemble une cohorte de jeunes pousses qui se développent selon un modèle exploitant le nouvel or noir de l’économie, les big data. A l’ origine de la start-up : une idée, une vision portée par le fondateur qui va devoir passer par différentes étapes, de la preuve du concept : l’entrepreneur précise le concept puis le service ou le produit pour finalement apporter la preuve du fonctionnement puis éventuellement obtenir un brevet ; à la preuve du concept commercial : la démonstration que la vente est possible, le produit ou service peut se vendre à un prix suffisant pour dégager un bénéfice ; enfin le développement : l’étape ou l’entreprise déploie son plan commercial mentionné dans son business plan.

A chaque étape, l’aventure peut changer de nature, s’arrêter ou continuer : le fondateur agit sur un marché en création, instable, Il ne dispose pas d’un business model fixe et explore des possibilités.

La start-up obéit à un cheminement particulier qui laisse entrevoir une espérance de croissance à 3 chiffres, à court terme, si toutefois, une mort précoce ne la tue pas avant – ce qui est le cas d’une société sur deux, avant 5 ans – car le cimetière des start-up est jonché d’idées intéressantes qui n’ont pas trouvé leur marché.

La question du financement est cruciale ; l’entrepreneur part dans l’aventure avec ses économies parfois de la love money familiale et est très vite confronté à des problèmes de trésorerie. En phase d’amorçage son entreprise ne fait aucun chiffre d’affaires ou un chiffre non significatif : l’investisseur comme l’entrepreneur n’ont pas de données suffisantes sur la manière dont le produit ou service sera reçu par le public. Il faudra que l’idée soit particulièrement prometteuse pour qu’un financier – Business Angel, investisseur privé, plateforme de crowdfunding se risque à mettre la main à la poche.

La phase early stage qui suit l’amorçage se situe au début du développement quand le chiffre d’affaires est suffisant pour permettre de croire à la possibilité de croissance de l’entreprise : l’entrepreneur pourra alors partir en recherche de levées de fonds et essayer de convaincre les investisseurs dans une compétition toutefois très rude : 30 % des dossiers déposés ne vont pas en pitch et parmi ceux-ci seulement 5 à 10% seront sélectionnés.

L’entreprise à ce stade, est passée d’une situation d’incertitude totale à une situation de risque : elle peut estimer son marché et estimer ses chances d’aboutir au résultat mais elle fait face à une incertitude majeure : les réactions de la concurrence et le délai nécessaire pour atteindre le résultat attendu. La start-up est en effet par essence disruptive en ce qu’elle bouleverse le business model des acteurs en place.

C’est à ce stade post early stage qu’entre en jeu notre second acteur le lobbyiste qui va s’atteler à la tâche ardue d’insérer le business model de la start-up dans l’environnement règlementaire existant voire, si nécessaire de le modifier. Bouleversant l’équilibre du marché des acteurs en place, la start-up va en effet vite se confronter aux réactions épidermiques de ces derniers qui s’abriteront pour se protéger derrière les règlementations existantes et leurs réseaux constitués de longue date.

Ainsi le spécialiste des voitures de tourisme avec chauffeur Uber est en butte à la colère des chauffeurs de taxi traditionnels : un conflit très dur dans de nombreux pays et qui passera en France par des grèves des taxi immobilisant Paris, la condamnation de deux des patrons d’Uber France pour exercice illicite de l’activité de taxi, le redressement d’Uber France pour cotisations sociales impayées, etc. et une réponse du gouvernement qui tentera d’apaiser le conflit avec la loi Thévenoud – qui fait l’objet d’une plainte devant la commission Européenne – puis la loi Grandguillaume en cours d’adoption.

Missionné par Manuel Valls pour régler le conflit entre les taxi et VTC, le député socialiste Laurent Grandguillaume estime que certaine plateformes comme Uber et Airbnb « ont créé des schémas d’optimisation fiscale et sociale » qu‘il convient d’encadrer. Et c’est sur cette question de la régulation de l’économie collaborative que vont devoir agir et réagir les lobbyistes des start-up.

Dans ce contexte que peut faire le lobbyiste et d’abord qui est-il ?

Le lobbyiste : corrupteur ou acteur du processus législatif?

Le lobbyiste souffre, hormis dans les pays anglo-saxons qui en ont bien compris l’utilité, d’une méconnaissance qui lui porte préjudice ; Il ferait, dit-on, pression sur les pouvoirs publics? Il n’est est rien car en réalité, il faut bien comprendre que quand une décision publique est prise, l’information des décideurs est nécessaire. Le lobbyiste défend donc des intérêts particuliers en transmettant la bonne information au bon interlocuteur. Et c’est son engagement à ne diffuser ou relayer qu’une information honnête et rigoureuse qui fonde sa légitimité. Mais in fine, la décision appartient au seul décideur public, au politique qui arbitre en conscience entre les différents intérêts en présence.

Une entreprise ou un secteur professionnel fera en général appel au lobbyiste lorsque se prépare une décision susceptible d’influer sur l’organisation de son secteur d’activité ou ses intérêts vitaux. Le lobbyiste connait les rouages de la décision publique et intervient alors pour faire valoir auprès des pouvoirs publics la réalité économique et juridique des intérêts particuliers de son client.

Concrètement comment le lobbyiste va-t-il travailler avec la start-up? Quelles sont ses missions, pourquoi lui est-elle nécessaire?

Remémorerons-nous notre entrepreneur, il travaille d’arrache-pied avec ses équipes pour atteindre la réalisation de parts de marché en cohérence avec les prévisions du business plan et à priori pense n’avoir ni le temps ni les ressources à consacrer à un budget lobbying. Peut-être même devrait-il justifier auprès de ses investisseurs sa décision d’allouer des ressources au lobbying plutôt qu’à la croissance de son entreprise. Dans sa stratégie de développement, il intègre la prise en compte de ses concurrents mais raisonne en défense et non attaque.

C’est une mauvaise stratégie qui peut lui coûter sa survie. Car c’est précisément à ce stade de développement de son entreprise – post early stage – qu’une stratégie de lobbying doit être pensée dans le cadre du business model.

C’est une stratégie sur le long terme qui va être élaborée par le lobbyiste en coopération avec la start-up. La mise en œuvre de cette stratégie passe par plusieurs actions :

La première action vise à identification de l’ensemble de l’éco système de la start-up.

Dans la sphère institutionnelle, sont identifiés les fonctionnaires clé au sein du gouvernement : ministère, Matignon, Elysée, les fonctionnaires clés au sein de la DG en charge du secteur d’activité à la Commission Européenne, et au sein d’agence comme l’EASME, l’agence exécutive pour les PME qui est décisionnaire sur les financements européens, les élus au sein du parlement Européen et du parlement français, les rapporteurs de groupes d’études parlementaires en lien avec le domaine d’activité de la start-up…

Ces fonctionnaires seront approchés dans le cadre d’un programme de rendez-vous dont l’objet sera de faire connaitre l’activité de la start-up, son potentiel de développement et argument de poids et les emplois induits à court terme.

Plus largement, il s’agit d’avoir une vue globale sur l’ensemble des parties ayant une relation plus ou moins proche avec l’activité de la start-up : identifier les « alliés », les « opposants» – dans la mesure où l’activité de la start up est par essence disruptive et gênante pour les acteurs en place -, comprendre les positions de chacun en vue d’entreprendre un rapprochement et peut-être d’élaborer des alliances qui pourront se révéler décisives. Des argumentaires, ciblés en fonction des opposants identifiés, seront construits afin de leur apporter la contradiction.

On recherchera également dans ce vaste mapping, les référents au sein de Business France, de la Bpifrance, des PCN (Points de Contacts Nationaux) dans le cadre des programmes H2020 de financement européens.

On s’interrogera sur l’existence d’organisations professionnelles en relation avec l’activité de la start-up, les positions éventuellement prises par celles-ci, les pôles de compétitivité qui pourraient ou ont octroyé un label à la start-up, les associations de consommateurs, environnementales, ONG qui pourraient s’être exprimées sur l’activité de la start-up, les médias, etc.

La seconde action menée en parallèle vise à suivre la règlementation.

Cela passe par une veille sur les travaux parlementaires, consultations publiques, rapports de think tanks à l’échelon français mais aussi européen. Il faut agir le plus en amont possible afin d’anticiper d’éventuelles initiatives législatives qui pourraient être engagées par les acteurs en place déstabilisés par l’arrivée de la start-up et cherchant à consolider leur position. Dans ce cas, la procédure législative sera suivie attentivement, des argumentaires construits sensibilisant la classe politique sur les enjeux posés et défendant la position de la start-up, des amendements déposés par des élus saisis…

Parfois le lobbyiste convaincra son client de l’utilité d’une action offensive par laquelle il prendra l’initiative de susciter le dépôt d’un texte législatif venant combler le vide règlementaire afin d’organiser l’exercice de son activité et lui faire une place parmi les acteurs « historiques »…

La dernière action ressort du domaine de la communication, connexe au lobbying proprement dit.

Parallèlement à la bataille législative et parfois judiciaire, une bataille de l’opinion va s’engager entre les « anciens » et les « modernes ». Il est crucial pour la start-up de la gagner en s’alliant en particulier avec le consommateur, son meilleur soutien puisqu’il bénéficie grâce à la start-up de nouveaux produits (Compte bancaire pour tous : Compte-Nickel, appareil pour malentendants : Octave-Sonalto, lunettes via internet : Sensee) ou de nouveaux services (taxi : Uber ,location d’appartement : Airbnb, cours de conduite auto : Ornikar) bien moins chers, et beaucoup plus simples d’utilisation.

Conclusion : une union vraiment propice entre la start up et le lobbyiste

Une prise de conscience aux USA mais aussi en France, en Europe

Aux USA, on a compris depuis quelques années la nécessité vitale pour les start-up de s’attacher les services de lobbyistes. Les majors de l’internet : Google, Facebook et avant Microsoft ont montré le chemin mais le changement réel est intervenu avec Uber et Airbnb qui ont recruté des lobbyistes, souvent d’anciens fonctionnaires de l’administration, à Washington et dans toutes les villes du monde où ils opèrent. Le budget affecté au lobbying des start-up du digital s’élevait sur les 5 dernières années à plus de 47 million de dollars soit un budget quasi identique à celui consacré par le secteur automobile. Autre constatation, l’association américaine des start-up de l’internet (Internet Association) a triplé ces trois dernières années le nombre de ses adhérents témoignant en cela de la prise de conscience des start-up de l’importance de défendre collectivement leurs intérêts.

Car le lobbying se manifeste aussi au travers d’organisations professionnelles, constituées par et pour les start-up et qui sont nombreuses à éclore ces derniers mois en France mais aussi en Europe. Ce sont bien en effet les entrepreneurs les moteurs de cette dynamique qui s’inscrit dans l’éco système mis en place par les pouvoirs publics : Business France, les clusters, les pôles de compétitivité, la French Tech Hub …et vient la compléter l’amplifier.

On peut citer France Digitale qui, via son président, également co-fondateur de PriceMinister, olivier Mathiot, se mobilise pour faire bouger les lignes de la campagne présidentielle de 2017 et propulser le digital dans le débat public. Cette association qui a lancé une consultation sans précédent des start-up, propose des pistes concrètes pour « réinventer » la fiscalité des entreprises et des start-up dans un monde globalisé et numérique. Et d’autres associations qui rassemblent des start-up par secteur d’activité du digital comme par exemple France eHealthTech qui réunit 59 start-up française du domaine de la e-santé avec pour objectif de fédérer les pépites françaises du secteur pour renforcer leur visibilité et influer au plus haut niveau de l’état pour défendre leurs intérêts. Cette association désormais régulièrement consultée par le gouvernement, milite pour l’ouverture des données de la santé publique pour favoriser l’économie de la santé et l’émergence de nouveaux services

Le lobbyiste est donc bien un partenaire nécessaire de la start-up qui devra être intégré très tôt dans sa stratégie de développement, une stratégie impliquant un travail de longue haleine, qui pourra mettre des mois avant de se concrétiser et nécessitera une coopération totale entre nos deux protagonistes… une « union propice »… vraiment propice.

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